Au fil du temps
Bruno circule le long de la frontière qui sépare alors l’Allemagne de l’Ouest de la RDA pour réparer des projecteurs dans les cinémas de village...
Au fil du temps apparaît aujourd’hui comme une pièce maîtresse de la filmographie de Wim Wenders, une œuvre-somme qui ne se propose rien moins que de récapituler en elle-même toute l’histoire du cinéma (de Fritz Lang à Nicholas Ray) avant une probable extinction des feux.
En ce milieu des années 1970, le parc cinématographique allemand affiche un état désastreux hérité de l’après-guerre. C’est ce réseau sinistré que sillonne Bruno (Rüdiger Vogler), projectionniste itinérant, au volant d’un grand camion, dernier refuge motorisé d’un art réduit au nomadisme. Sur le chemin, il recueille Robert (Hanns Zischler), un autre naufragé de l’existence. Au long de leur périple, l’Allemagne se déroule comme le reflet inversé d’une Amérique fantasmée, continent symétrique dont les motifs dédoublés refluent de partout (musique, grands espaces...). C’est leur Amérique intérieure que cherchent les personnages errants, jusqu’à se confronter avec la génération des pères ayant frayé avec le nazisme. Wenders donne au temps le rythme d’une respiration olympienne, au crible des contrastes éclatants sculptés par la photographie de Robby Müller. La route comme la pellicule sont les deux plus beaux des rubans de mémoire.
Mathieu Macheret