Stanley Kubrick
Rétrospective
"Quiconque a eu le privilège de réaliser un film est conscient que c’est comme vouloir écrire Guerre et Paix dans l’auto-tamponneuse d’un parc d’attraction. Mais lorsqu’enfin la tâche est bien accomplie, peu de choses dans la vie peuvent se comparer à ce que l’on ressent alors."
Stanley Kubrick
Ces lignes sont extraites d’un message filmé (le seul document cinématographique où apparaît le cinéaste outre le film réalisé par sa fille Vivian sur le tournage de Shining) que Stanley Kubrick envoya, en 1997, à la Directors’ Guild of America pour la remercier de lui avoir attribué le prix D.W. Griffith. Elles éclairent un artiste souvent incompris et un homme certes de l’étoffe dont sont faits les mythes, mais dont le goût du secret a conduit les médias à en donner une image erronée. Si beaucoup de jeunes réalisateurs considèrent comme naturel de se retrouver derrière la caméra, il estimait encore, après quarante-cinq ans de carrière, que c’était une faveur spéciale dont il bénéficiait. L’expérience lui avait aussi appris qu’à la différence de celle du musicien, du peintre ou de l’écrivain, l’activité d’un metteur en scène était à la merci de nombreux aléas, d’où la nécessité de garantir par un maximum de contrôle sa liberté de création et l’accomplissement de sa vision. Cette déclaration révèle enfin à quel point l’exercice de son art fut pour lui la source des plaisirs les plus intenses. Son cinéma aujourd’hui est universellement accepté, mais il faut se souvenir combien ses films furent controversés, rejetés par une partie de la critique lors de leur sortie, avant de s’imposer plus tard comme des classiques du cinéma. Si, selon la formule célèbre de Malraux, la mort est ce qui change la vie en destin, elle provoque aussi, souvent, un consensus qui n’avait jamais existé auparavant et que la sortie de son dernier film posthume, Eyes Wide Shut, brisera de nouveau.
Michel Ciment