Ces dix films anglais d’Hitchcock, avant sa carrière hollywoodienne, ont affermi sa réputation de maître et fixé la perception générale de la Hitchcock touch ! Réalisés durant les cinq années qu’Hitchcock passa aux studios d’Elstree (The British Hollywood), ils témoignent d’une grande variété, tant par leur traitement cinématographique que par leurs sources d’inspiration, scénarios originaux ou, pour la plupart, adaptations théâtrales ou littéraires.

C’est une période méconnue d’un cinéaste parmi les plus connus au monde que cette rétrospective invite à découvrir. Un Hitchcock anglais et non pas américain. Un Hitchock muet, en tout cas pour la moitié des dix films proposés. Un Hitchcock qui cherche et qui expérimente, ainsi qu’il le fera certes toujours, mais ici avec une liberté et une vivacité, une jeunesse qui ne reviendront pas. Un Hitchcock méconnu encore pour une autre raison : dans cette sélection, les cadavres et les enquêtes, le suspense et sa délicieuse angoisse arrivent tard. Il faut attendre Chantage puis Meurtre, le bien nommé. Merveille de la redécouverte : avant le Hitchcock criminel il y en eut un autre, et cet autre Hitchcock fut social. Car le sujet de Laquelle des trois ?, de The Manxman et de The Skin Game est moins le crime que le rapport de classes, moins la culpabilité que l’ambition, moins l’opposition entre la loi et le vice qu’entre la richesse et la pauvreté, l’ancien et le moderne, la campagne et la ville. Car les personnages du Masque de cuir, d’À l’Est de Shanghai et de Junon et le paon ne sont pas des policiers ni des assassins : c’est un boxeur de foire en route vers le succès, c’est un employé devenu héritier, c’est un « paon » irlandais prêt à tout sauf à travailler. Tendresse d’Hitchcock pour le peuple, son argot mais aussi sa gaucherie dès qu’il est projeté dans un univers qui n’est pas le sien. Et méfiance envers ces « maîtres » pour qui même le plus grave pourrait n’être que distraction mondaine. L’intérêt d’Hitchock n’est toutefois pas que thématique ; il est aussi, et tout autant, formel. La société est une matière, mais c’est aussi une scène. Une tapisserie, selon un mot cher au cinéaste. La civilité, les lieux publics, les rites et les rituels en tout genre sont ainsi les tremplins nécessaires aux plus extraordinaires inventions. Pensons à la poursuite sur les toits du British Museum, dans Chantage, pensons au suicide devant le public effaré d’un cirque, dans Meurtre. Tout Hitchcock sans doute, même le plus abstrait, restera social. Mais c’est au cours de ces années 1927 - 1932 qu’on en trouve la première et la plus directe des expressions.

Emmanuel Burdeau

À LIRE, À ÉCOUTER, À VOIR

• Hitchcock ; Truffaut
  François Truffaut, Gallimard, 1993. 

• Entretiens avec Alfred Hitchcock par François Truffaut
  France Culture

• Alfred Hitchcock, Une vie d'ombres et de lumière
   Patrick McGilligan, Actes Sud, Institut Lumière, 2011.
• Hitchcock. La totale
  Bernard Benoliel, Gilles Esposito, Murielle Joudet, Jean-François Rauger,
  Editions EPA, 2021.

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